Un non positif
Jean-Marie Harribey
Sud-Ouest, 18 avril 2005
Trois raisons essentielles justifient un rejet du traité constitutionnel. La première tient au statut du texte, la seconde à son contenu, la troisième au fait quil peut exister une voie pour construire une autre Europe.
Sur les 448 articles du texte, 322 définissent les politiques à mettre en uvre en matière économique, monétaire, sociale, fiscale, environnementale, en matière de justice, sécurité, recherche, etc. Que viennent faire dans une Constitution ces préconisations qui ne devraient relever que du choix démocratique ultérieur à ladoption de règles de fonctionnement des institutions ? Ses propagandistes répondent que ce projet ne fait que reprendre les traités antérieurs déjà appliqués et quon nest donc pas fondé à sy opposer. Mais depuis quand ne pourrait-on refuser que soit pérennisées des politiques néfastes ? Sans parler de la quasi irréversibilité imposée par la règle de la modification à lunanimité dun tel texte ou tout simplement par celle de lunanimité requise pour adopter des dispositions fiscales (I-54-3, III-171) ou celles favorables à la protection de lenvironnement (III-234-2).
Est-il vrai, comme le disent ses partisans, que cette Constitution est apolitique lorsquelle met sur le même plan « lespace de liberté de sécurité et de justice sans frontières intérieures et un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée » (I-3-2) ou bien « la libre circulation des personnes, des services des marchandises et des capitaux » (I-4-1) ? La réponse est donnée dans la troisième partie : laction politique doit être « conduite conformément au respect du principe dune économie de marché ouverte où la concurrence est libre » (III-177, III-178). Pour en donner quelques exemples, « les restrictions tant aux mouvements de capitaux quaux paiements entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites » (III-156). Est exclue ainsi toute lutte contre la spéculation par une taxe sur les transactions financières. Les paradis fiscaux dEurope sont mis hors datteinte (IV-440-6). Les critères de Maastricht et le Pacte de stabilité sont prorogés en interdisant à la Banque centrale daccorder un découvert à toute institution. La politique monétaire échappe à tout contrôle démocratique (I-30, III-181, III-185, III-188) et la politique budgétaire doit obéir aux principes daustérité imposés par le libéralisme (I-53, I-54, III-171, III-184).
La portée de la Charte des droits fondamentaux insérée dans la seconde partie est annihilée par le contenu de la troisième. Le droit du travail et le droit au travail sont remplacés par le « droit de travailler » et la « liberté de chercher un emploi » (II-75). Les droits sociaux fondamentaux et lemploi sont subordonnés à la « nécessité de maintenir la compétitivité de léconomie de lUnion » (III-204, III-209) et la main duvre doit « sadapter » à lévolution de léconomie (III-203). Toute harmonisation des rémunérations, du droit dassociation, du droit de grève est impossible (III-210-6). Le droit de grève est reconnu aux salariés et aussi aux employeurs (II-88) ! En accord avec ce texte (I-4-1, III-137, III-144), la directive Bolkestein permet à un prestataire de services de sétablir dans un pays avec une législation sociale faible, puis daller faire travailler ses salariés sous le régime de celle-ci. Une autre directive sur le temps de travail prévoit de porter la durée maximale de travail hebdomadaire de 48 à 65 heures et dexclure du temps de travail le temps de garde inactive.
Les services publics sont absents de la Constitution. Ne subsiste quune référence à « des services dintérêt général » (II-96, III-122) qui, de toute façon, ne doivent pas « fausser le jeu de la concurrence » (III-161-1) et ne peuvent bénéficier daides de lEtat (III-166). Avec un tel texte, lAccord général sur le commerce des services négocié au sein de lOrganisation mondiale du commerce qui vise à libéraliser « léducation, la santé et les services liés à lenvironnement » selon le Rapport 2004 de la Banque mondiale, est avalisé.
La démocratie reprendrait-elle ses droits au sein du Parlement européen ? Seule la Commission a linitiative des lois (I-26-2). Et un million de citoyens ne peuvent prendre linitiative que « dinviter » la Commission à faire une proposition « nécessaire à lapplication de la Constitution » (I-47-4).
Enfin, le chantage à la catastrophe si le non lemportait est révoltant pour deux raisons. Primo, pourquoi soumettre à référendum une question si lune des réponses est a priori frappée dillégitimité ? Secundo, il est possible denvisager une autre voie pour construire une Europe démocratique, solidaire et écologique. Cela exige de restreindre la liberté de circuler pour des capitaux dautant plus rentables que le chômage grossit, de promouvoir un droit du travail harmonisant par le haut les protections sociales, dinstaurer un salaire minimum dans tous les pays, de subordonner le marché à des normes sociales et écologiques, de renforcer de véritables services publics, de garantir à tous laccès au logement, à lemploi et à la retraite.
La seule attitude positive laissant la porte ouverte vers lavenir est donc de répondre non à ce pensum libéral.